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Le balayeur de comètes
Le Balayeur de comètes

Blog à variations multiples… Coups de cœur, coups de gueule ! La vie est belle… Poésie, nouvelles, humour, photographie… Un blog où égrener sa curiosité en balades improvisées !

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15 juin 2018

Fernando Pessoa - Apostille

 

Ne pas perdre son temps !
Mais qu’est-ce que le temps, pour qu’on le perde ?
Ne pas perdre son temps !
Aucun jour sans ligne…
Le travail appliqué et inspiré…
Le travail à la Virgile, à la Milton…
Mais il est si difficile d’être appliqué ou inspiré !
On a si peu de chance d’être Milton ou Virgile !

Ne pas perdre son temps !
Tirer de son âme juste les éléments qu’il faut
Assembler pour reconstituer avec un jeu de cubes
L’image fidèle de l’histoire
(Y compris à l’envers, où l’on ne voit rien),
Etaler ses sensations comme un jeu de cartes (pauvre Chine de nos veillées),
Mettre ses pensées bout à bout comme des dominos,
Carambolant ses désirs comme au billard…
Images de jeux, images de divertissements,
Images de vie, images de vies, images de la Vie.

Des mots…
Oui, des mots…
Ne pas perdre son temps !
Ne pas rester une seule minute sans conscience de soi,
Ne jamais accomplir d’acte machinal ou inutile,
Ne rien faire qui ne soit conforme à son dessein :
Avoir de la distinction intellectuelle,
De l’élégance dans le caractère…

Ne pas perdre son temps !
Mon cœur est las comme un véritable mendiant,
Mon cerveau est défait comme un paquet jeté dans un coin,
Mon chant (des mots !) est ce qu’il est : triste.
Ne pas perdre son temps !
Depuis que j’ai commencé à écrire, cinq minutes ont passé.
Les ai-je perdues ou non ?
Si je ne le sais pas, que saurai-je des autres minutes de ma vie ?

(Voyageuse qui faisais si souvent le trajet dans le même compartiment que moi
Dans le train de banlieue,
As-tu jamais fait attention à moi ?
Ai-je perdu mon temps à te regarder ?
A quelle vitesse allait notre bonheur dans le train errant ?
Quel a été cet accord entre nous, qui n’a pas existé ?
Où était la vie dans notre aventure ? Qu’était notre aventure pour la Vie ?)

Ne pas perdre son temps !
Ah ! laissez-moi perdre tout mon temps !
Laissez-moi perdre le temps, l’être, le souvenir du temps ou de l’être !
Laissez-moi devenir une feuille d’arbre caressée par la brise,
La poussière d’une route imprévue et solitaire,
L’eau qui ruisselle n’importe où après les pluies,
L’empreinte des roues sur le chemin avant que d’autres roues ne l’effacent,
La toupie du gamin, qui va s’arrêter,
Et qui tourne, du même mouvement que la terre,
Et tremble, du même mouvement que l’âme,
Et tombe, comme tombent les dieux, sur le sol du Destin.


Alvaro de Campos  (alias Fernando Pessoa)
Poème extrait du recueil  « Tout est désert »

 

 

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