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Le balayeur de comètes
Le Balayeur de comètes

Blog à variations multiples… Coups de cœur, coups de gueule ! La vie est belle… Poésie, nouvelles, humour, photographie… Un blog où égrener sa curiosité en balades improvisées !

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4 novembre 2019

Loup




          Bon, le loup…

     C’était quand même spécial, ce loup. Maudit, pelé, pas né de la dernière pluie. D’accord, comme les autres, on en parle d’autant plus à l’aise qu’ils sont loin, dans un pays à eux, qu’on appellerait « chez les loups »…

     C’était simple aussi… Un loup, hop ! On prétend connaître mais on ne connaît pas, et aussitôt on cause, mal de préférence, tu imagines le coup, un loup hein, tu m’a compris, tu m’as… Et puis, c’est une façon d’exorciser sa peur. « On » balance des pierres au loup et c’est sa peur qu’on fait partir au loin…

     En bref et en vrac, les gens, ils sont comme ça : il y aura toujours quelque saloperie chez eux qui m’empêchera de croire en Dieu. Dieu, ça serait un peu comme le loup, mais de l’autre côté, tu vois ce que je veux dire… Bon.

     Donc, les gens parlaient du loup, chez eux, dans les odeurs de la cuisine où le bouillon campagnard règne en juste maître, quand la chaleur du repas du soir mêlée à l’humidité stagnante de l’air fait de la buée sur les vitres, et qu’on a couché les petits terrorisés par la nuit déjà venue…

     Ils en parlaient à voix basse, et la discussion n’était entrecoupée que par les « schllllurp » qui envoyaient dans leurs ventres affamés la soupe de vermicelle et le gros pain trempé ; et, parfois aussi, les crépitements soudains du feu dans la cheminée faisaient sursauter leurs ombres gigantesques projetées sur le mur.

     Ils en parlaient aussi pendant leur travail, car celui-ci leur en laissait le temps ; alors, ils soulageaient leurs fantasmes sur le loup, et ça leur donnait plus de facilités pour aborder la vie et ses banalités.

     Et il y avait les bistrots : évidemment, il y avait toujours un moment où la conversation NATURELLEMENT arrivait sur le loup…

     Ils en parlaient aussi sur le marché, n’importe où, au milieu des babioles à cent balles, des fruits et légumes, des poules attachées ou suspendues à l’envers, avec leurs yeux morbides de poules avides de quelques heures encore à vivre.

     Enfin, quand je dis « ils », c’étaient plutôt elles qui, sur le marché, tenaient haute la baguette de la discussion ; et, ma     foi, c’était pas mieux, c’était même vraiment pas mieux, et même pire que cela encore :

-    « Oh, vous savez, madame Michu, ce qu’« on » m’a dit… il paraiîtrait qu’un tel aurait vu, qui lui aurait dit, qu’on lui aurait catégoriquement affirmé que… (là, un regard rapide à gauche et à droite, histoire d’attirer encore plus… et à voix basse)… le loup… aurait été vu… » et bla bla bla et bla bla bla interrompu par les « oh » de stupeur de l’assistance, et vas-y, « rendez-vous compte », « c’est-pas-Dieu-possible », « on n’en sera jamais débarrassés », et voilà qu’« on » se met à faire des signes de croix, tac tac tac, toute la sainte journée…

     Et quelques vieux présents dans l’auditoire qui reprennent par un « hé bé dis-donc »… Ils n’avaient rien compris, mais ça parlait du loup, ce qui leur suffisait pour situer l’affaire…

     Et si les salades n’étaient pas belles, c’était la faute du loup ; et si les vaches ne donnaient plus de lait, et si les poules ne pondaient plus d’œufs, c’était encore lui…

     Et puis voilà.

     La nouvelle arriva comme un mauvais coup de vent, et la place du marché devint un lieu d’effervescence…

     « IL ETAIT REVENU. »

     On avait repéré ses traces dans la boue d’un chemin de la colline qui surplombait le village… Juste là-haut, pas loin…

     C’est le fils à Mathurin qui, le premier, les a reconnues.


Loup 1 modif


     Aussitôt, on lui payait le coup, et les questions fusaient de tous côtés… on parlait de prévenir les gendarmes.

     Ce soir, on rentrerait les bêtes plus tôt.

     Et il y en avait bien un qui, malgré tout, se frottait les mains : c’était le curé. Dimanche, il y aurait du beau monde dans son église… De l’argent en perspective.

     Alors, on décrocha les fusils des cheminées ou on les sortit des vieux placards poussiéreux, puis on ferma les portes à double tour… Et le silence tomba sur la vallée, comme les jours d’enterrement où seul le glas se fait entendre.

     Et les familles réunies prièrent… La sainte frousse et la sainte bêtise marchaient la main dans la main.

     Et puis rien.

     Et le lendemain, rien.

     Mais deux jours après, cette fois, c’est le vieux Pedro, un bûcheron de la montagne, qui affirma en avoir vu deux ! Enfin, il était sûr d’en avoir vu un ; et l’autre, peut-être…

-    « Je coupais les branches d’un tronc, et je l’ai vu, je les ai vus, et plus rien, disparus, ah ? »

     Le vieux Pedro n’avait pris qu’une seule cuite dans sa vie, mais cela faisait bien trente ans qu’il lui entretenait la santé à grands coups de Pastis, et à grands coups de tout ce que pouvaient lui payer les autres… Allez, Pedro, viens trinquer…

     On eut bien l’idée d’aller chercher des traces dans les fourrés, là-haut, mais le vent soufflait fort et… tu sais, on dirait que le vent les appelle, ces satanés loups, alors…

     Alors, on attendit.

     Et comme il ne se passa rien pendant les quelques jours qui suivirent, on oublia un peu le vieux Pedro et ses délires, et les pots qu’il se faisait offrir en échange du récit de l’événement –jamais le même ni tout à fait différent– se firent plus rares. Pour lui, la vie redevint plus dure… On croyait avoir pu y croire, et on respirait mieux.

     Et pourtant « il » revint, et c’est Cartalino qui le vit. Oh, de loin, c’est vrai, mais ce fut confirmé par l’instituteur qui avait fait sortir les petits.

     Cartalino venait souvent au marché pour y vendre des fruits et des légumes, qui variaient selon les saisons. Bref… quelle aubaine pour lui ! Jamais il n’avait autant vendu, et jamais ses clients n’avaient été aussi bavards… La providence…


Loup 2 modif


- « Bon, bon, mais Amandine, alors ? »
- « Attends, j’y arrive… »

     Amandine était, elle aussi, un cadeau de la providence, la très sainte et la très grande… –mais dans un genre très différent, il est vrai…–

     Et toutes les conneries qu’elle pouvait entendre autour d’elle à longueur de journée ne faisait que l’agacer prodigieusement… Une chance.

     Amandine, je ne te l’ai pas dit, c’est la fille à Cartalino. Finalement, pensait-elle, ce loup n’a jamais fait de mal à personne (et c’était vrai), et elle se renseigna un peu…

     Bon, il ne faisait pas le bien non plus… ou alors, il y a longtemps…

     On a raconté qu’il avait sauvé les gosses du Pasquarani qui étaient tombés dans le Fiumicelli, et qui, sans lui, s’y seraient noyés…

     Mais ça, c’était « dans le temps », et le Pasquarani n’a jamais été très causant, surtout sur le sujet… et encore moins avec des « étrangers ».

- « Ah, ces Corses, ce sont des menteurs et compagnie –et feignants avec ça…– »

     Il paraît même qu’« il » leur aurait appris à nager… une sorte de nage de loup… Mais ça, c’est du « il paraît » et, de toute façon, c’était « dans le temps ». Alors…

     Le vieux Tanistou ne pouvait en dire plus, le menton appuyé sur la poignée en bois poli de sa canne, canne qui l’accompagnait toujours au long de ses petites promenades…


Loup 3 modif



     Amandine se leva. D’ailleurs, il était tard, et la mère allait être en colère.

     Aaaah ! Merveille de l’adolescence ! Plus on s’acharnait sur le loup, et plus Amandine se plaisait à lui trouver mille et mille qualités. Elle s’écartait de plus en plus du reste de la population et cela ne passait d’ailleurs pas tout à fait inaperçu. Mais on s’empressa de le mettre sur le compte du loup, qui jetait des sorts, ou provoquait la maladie, ou même, carrément, le « grand mal »… même qu’après tu deviens sec comme une noix, et que tu finis par tomber en poussière… ça, je ne l’ai jamais vu, mais il y aurait eu des cas…

     Bref, à quel moment décide-t-elle de « le «  rencontrer ? Peut-être qu’elle ne le voulut jamais vraiment, mais un jour l’idée s’imposa, ne serait-ce que pour en avoir le cœur net…



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                                                                           LE LOUP



     Je ne venais pas très souvent vers ce village. Je n’aime pas les gens, leur stupidité (et leur méchanceté) m’ont contraint à vivre seul dans la montagne. Et je ne m’en porte pas plus mal. Je ne demande rien à personne. Je suis seul.

     Avant, on était deux, mais « elle » est partie. Ma vie ne lui convenait plus. Peut-être parce que je suis invivable avec. Quand « elle » est partie, je n’ai pas pleuré. Je savais que je serais seul et je n’ai pas pleuré. Elle aussi le savait. Elle a « foutu le camp » parce que « la liberté, tu vois, et tout ça, gna gna gna, et autres conneries de quand on veut partir sans faire trop de dégâts… mais je t’aime et on se verra de temps en temps, quand tu veux. » Pauvre conne, c’est tout le temps que je voulais. Elle a juste laissé sa bécane…

     Bon, parlons d’autre chose, ce sujet-là finira par me rendre nerveux…

     Je ne venais pas très souvent vers ce village. Les habitants semblent me fuir et je m’en fous. Pourtant, c’est pas moi qui ai mangé le vieux berger de la Massoline. En ermite qu’il vivait, ce vieux-là… j’y aurais jamais touché. D’ailleurs, j’en connaissais un. Pasquarani, tu vois qui c’est ? J’avais ramassé ses gamins qui buvaient la grosse tasse ; ils faisaient du canoë dans un endroit qui me faisait penser à une lessiveuse. C’est dingue, les mômes, hein ?

     Sacré Pasqua. Toujours un vieux carré de chocolat noir dans sa poche, des fois qu’il aurait croisé un pauvre clébard, ou un pauvre tout court.

     Je ne sais pas ce qu’il est devenu… Sans importance, tout ça…

     Bon, je descendais avec la Yam. Ouaip, j’ai toujours la Yam : toujours vaillante, la dame, mais… faut la surveiller !… Bref, je descendais, je ne sais plus trop pourquoi… ah si, il me fallait des bricoles pour la maison ; faut dire, tu l’aurais vue « avant »… Bon, j’arrive au croisement du Chêne mort, tu sais, là où il y a beaucoup de thym… Je sors du petit chemin de terre qui aboutit sur la route, et je tombe sur une fille. Assise là, sur un gros rocher. Ouais, j’aurais pu passer sans rien dire, j’aurais peut-être dû… mais elle avait un je-ne-sais-quoi, comme si elle m’appelait, tu vois. Et pourtant, elle ne disait rien… Attiré comme de la ferraille par l’aimant, que j’étais…

     « Salut », que je m’entends lui dire.

     Et là, elle me plante ses yeux verts, là, dans les miens, et elle me dit « salut »… Oaaah, ces yeux…

- « Et après ? »
- « Et après, rien, mon vieux… C’est ça, la vérité vraie. Rien. On n’a plus rien dit. C’est dingue quand j’y pense. J’avais appuyé la Yam contre le gros rocher puis on s’était assis au pied de celui-ci, sur l’herbe verte ; le vent me caressait la joue avec ses cheveux… Vachement long le moment, tu vois… On regardait et c’était beau. On se taisait et c’était bien. On respirait et c’était la vie.


Loup 4 modif



     Et le soir est arrivé, pourtant… elle s’est levée. Elle a juste dit « je peux te revoir, Loup ? » ou « tu repasseras ici ? », ou un truc de ce genre… je ne me souviens plus, mais ça revenait au même…

     Je suis rentré à la nuit. La maison était soudainement très triste. Je n’ai pas mangé… »

- « Alors, le lendemain, tu y es allé ? »
- « Voilà ; j’y suis allé, en essayant que ce soit comme par hasard… Et personne. Je me suis vu devenir déçu. J’ai posé la bécane, et je me suis assis. Le fond de l’air était doux, on aurait entendu, dans les champs, se pomponner les éléphants, sauf que c’était pas l’heure…

     Et les cigales chantaient, elles se racontaient leurs chansons à elles, tu vois, comme un truc de cigale-à-cigale où il n’y avait rien à comprendre. Tu fermes les yeux, ça y est, tu t’envoles… criquicriquicri…

     Je me suis endormi, peut-être… Elle était là. Elle chantonnait… ouais, un truc doux comme jamais j’avais entendu… on aurait cru entendre du miel couler, comme une fontaine de miel… C’est ça qui m’a réveillé…

     Elle me regarda, et me sourit… Ce sourire… Je me dis que c’était trop beau, que ce n’était pas pour moi… Je n’ai pas vu les signaux d’alarme, je n’ai pas fait attention à la clochette. J’ai oublié toutes les souffrances d’avant, j’ai oublié le temps qu’il avait fallu pour les oublier. J’ai tout oublié. Je me suis fait avoir. J’étais apprivoisé…



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                                                                    ET MOI, ALORS ?



     Je regarde Loup qui n’en finit pas de trafiquoter sa bécane. Une rare 350 TY… une machine sans problèmes, pour un mec à problèmes, à ce que je pense…

- « Elle me bouffe un peu de bougies, depuis quelques temps… ça doit venir de mon huile qui commence à être un peu vieille… ou des vis… ça merde un peu, quoi… Oh, je sais bien ce que tu penses… Qu’elle est trop petite, ses parents, la morale, et tout ça… (il est reparti sur sa copine, faut suivre…). Et bien, tu vois, je m’en fous de tout ça, je m’en fous… Elle m’aime, mon vieux, elle m’aime… et mon pied dans le cul, madame la solitude… »

     Ses yeux brillent un peu bizzarement… C’est vrai que tout est un peu bizarre, ici… ce hameau en ruines, son habitant si énigmatique, disparu du « monde » depuis si longtemps et que je retrouvais enfin, et cette histoire apparemment si banale…


Loup 5 modif


     Loup chante en remontant sa bougie. Il m’a oublié, il est parti dans sa tête, « quelque part dans un pays doux et lointain »…

     Cette phrase court dans mon esprit…

     Je me secoue comme pour sortir d’un rêve.

     Et je m’en vais… peur de déranger. Des articles à taper, des excuses à la pelle… et Paris à l’autre bout de la route. Si loin…

     Je suis passé par le village, c’était jour de marché. J’ai vu la fille qui vendait des fruits.

     Ses yeux étaient réellement ce qu’il y avait de plus beau au monde. Verts. On aurait dit deux billes de jade. Alors j’ai compris. Je n’ai pas pris de photo. Je vais sûrement me faire engueuler, mais tant pis. Cette fois, je suis vraiment parti.

     Salut… Loup…

 

 

 

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